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• - Terra est en danger, mais les gnomes peuvent la sauver s'ils acceptent de s'allier aux elfes. Les Spares sont nos ennemis à tous, n'est-ce pas ?

• - Certes, mais je ne vois pas quoi y faire.

• - Les parents de Prince, le roi et la reine de Terra, nous ont informés...

A l'instant même où je prononçai les mots, je sus que je venais de commettre une erreur. Lorsque Prince soupira, je faillis reporter ma frustration sur lui, mais déjà le monarque exprimait tout haut ce à quoi nous nous étions attendus tous deux :

• - Alors vous avez réussi à les rappeler, vous vous fichez bien de notre avis sur la question, n'est-ce pas ? Dans ces conditions, comment pouvez vous croire que nous allons vous aider en quoi que ce soit ? Haussa-t-il le ton, mon faisant sursauter.

Plus humblement, je décidai d'énoncer la vérité pure et simple.

• - Nous avions besoin de leur parler, car eux seuls connaissaient le point faible des Spares. Nous savons ainsi que si on leur rend leur animalité, ils cesseront instantanément d'être une menace pour Terra. Aiderez-vous les elfes à leur jeter ce sort ?

La créature repoussante eut un rictus, face auquel la panthère eut un grondement qui tenait visiblement du réflexe.

• - Absolument pas, affirma pourtant le roi. Passez votre chemin.

La reine remua un peu dans le grand lit, probablement inquiète de notre réaction. Peu à peu, la louve cognait dans ma tête. Ses craintes étaient donc justifiées.

• - Mais pourquoi ? M'emportai-je finalement.

Mon grondement fit vibrer les murs de la suite royale. L'immortel gronda, désapprouvant avec raison cet éclat de voix qui nous avait fait repérer.

• - Parce que je n'apprécie pas vos méthodes, répliqua le gnome sans y faire allusion. Vous prenez de trop grandes décisions sans en référer à quiconque, sauf peut être les elfes. Que faites-vous de l'avis des autres peuples ?

Des voix résonnaient dans les couloirs. La porte s'ouvrit à la volée. Je m'écartai pour que chacun pût voir que le couple royal était menacé. Les gardes se figèrent en attendant les ordres. Mais je ne me déconcentrai pas :

• - C'est Celui qui sait ! C'est son rôle depuis les origines que d'agir seul pour le bien commun et contre tous. Personne ne l'a jamais aidé. Ne croyez-vous pas que vous-même auriez pris l'habitude d'agir de la sorte à sa place ?

Le monarque eut une expression de dédain, avant de trancher :

• - Non. Faites-les sortir, ordonna-t-il enfin.

Le fauve poussa un feulement sauvage, suite auquel plus personne n'osa bouger, craignant pour sa vie et celle du couple royal.

• - Je vais vous raconter une histoire, me calmai-je.

Prince m'avait conté ces faits le jour de notre promenade en forêt et à mon sens personne ne pouvait y rester insensible.

- Il avait douze ans, commençai-je. Les Dieux lui avaient dit cette nuit-là qu'une centaure devait être arrachée à sa famille dès le lendemain à l'aube et emmenée seule dans une cabane tout en haut d'un grand chêne pendant sept jours. Alors Prince alla la trouver pour le lui raconter. Le soucis était que son père était très malade et mourrait le lendemain soir, c'était évident. La jeune femme clama donc haut et fort qu'elle refusait de le laissai si vite. Prince travailla deux heures pour qu'elle le suive. Pour la convaincre, il raconta d'autres prophéties et devant leur importance elle céda, craignant une catastrophe. Elle n'eut même pas le temps de dire au revoir à l'homme, mais en chemin ils croisèrent un elfe qu'elle implora de le faire à sa place. Il accepta, puis à toute allure, Prince la mena à la cabane. Les marches autour du tronc avaient été taillées exprès pour les pieds d'un centaure. Elle pensait s'y ennuyer comme une âme en peine pendant ces sept jours. Pourtant, lorsqu'elle passa la porte un centaure l'attendait. C'était une très belle créature, qui la consola de la perte inéluctable de son père. Le second jour, elle s'aperçut qu'elle était irrésistiblement attirée par ce centaure qui s'était exilé pour s'éloigner de sa sœur qu'il aimait d'un amour interdit. Le troisième jour ils s'embrassèrent. A partir du quatrième jour ils s'aimèrent tendrement. Le huitième jour il la laissa repartir vers les siens. Lorsqu'elle entra sur son territoire le vide l'accueillit. Derrière elle, l'elfe qu'elle avait rencontré le premier jour lui posa la main sur l'épaule. Prince l'avait secrètement informé que c'était ce jour-là qu'elle rentrerait. Il lui expliqua que lorsqu'elle était partie, une affreuse épidémie planait sur son peuple, or elle était la seule, miraculeusement, qui ne l'avait pas encore contractée, d'où l'urgence de partir. Lui et les siens avaient bien tenté d'y remédier par magie, sans succès devant l'ampleur de la tâche. Elle était la seule survivante. Elle, son aimé et son bébé, ce qu'elle apprit peu après. Grâce à Prince, conclus-je, le peuple de centaures renaquit, parce qu'il avait écarté une deuxième centaure saine du foyer de l'épidémie. Celui qui sait a sauvé cette espèce, conclus-je, un tremblement dans la voix.

Je laissai le silence tomber sur la chambre. Prince était assis près du couple, à présent. La reine essuya une larme.

La louve et le prince 72.