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Le destin des immortels - nouvelle publication - 13.

Le son de la voix de Sofiane lui fit l'effet du miel, chaud et épais, glissant le long de sa gorge continuellement glacée. 

Elle s'éveilla dans un lit qu'elle ne connaissait pas. Celui d'un hôtel ? Non, c'était une chambre spacieuse, avec du sol en marbre... Elle se dressa sur les coudes, puis releva le menton pour humer l'air autour de son corps courbaturé. Elle reconnut l'odeur de Sofiane. Elle était seule dans le lit, chez le maître des vampires. Elle jeta un œil au réveil à côté d'elle, sur une table de chevet revêtue de marbre. Il était midi. Parfait, se dit-elle non sans ironie. Elle frissonna de la tête aux pieds à l'idée qu'il la jette dehors en plein soleil. D'une poussée nerveuse, elle quitta le lit aux draps si soyeux. Elle sortit de la chambre sur la pointe des pieds et dépassa le canapé où dormait le vampire. C'était gentil de sa part, décida-t-elle en le regardant, muré dans une parfaite immobilité, puisque les morts-vivants ne respiraient pas. Elle ne put s'empêcher de s'attarder pour le contempler. Il était égal à lui-même, dans son sommeil. Une créature inquiétante et pourtant magnifique. 
Elle quitta le déshabillé qu'il avait pris la peine de lui faire enfiler, puis ouvrit la porte pour sortir en chauve-souris. Mais un léger bruissement de cuir attira l'attention de la vampire. Lorsqu'elle se retourna l'immortel la fixait d'un air effrayant et elle se pétrifia sur place.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Chuchota-t-elle finalement.
- Où vas-tu, nue et en pleine journée ? La questionna-t-il froidement. 
Elle fit de son mieux pour extraire les mots de sa gorge nouée. L'effort fut assez douloureux, d'autant qu'elle mit un point d'honneur à articuler chaque syllabe en imitant le flux ordinairement mélodieux d'un immortel naturellement charmeur.
- A l'école, en chauve-souris, pour voir comment ça va, avoua-t-elle ainsi sous le regard perçant de son chef de meute. 
Un long silence s'en suivit entre Sofiane et elle. Pendant ces quelques minutes, elle se sentit plus vulnérable qu'elle s'en serait jamais crue capable. Comme si l'apocalypse pouvait s'abattre sur elle en une seule seconde s'il en décidait ainsi. 
- Souviens-toi de notre pacte, ordonna-t-il finalement.
- Bien-sûr, s'empressa-t-elle de promettre, forçant les mots à se frayer un passage hors d'elle-même.
Elle se hâta de s'éloigner de lui. Elle se demanda si elle parvenait à donner le change, mais elle savait qu'il était vain d'espérer que Sofiane ne remarquait pas qu'elle le fuyait tout simplement, par le plus brut des instincts de survie. Dire que la veille ils avaient été à égalité sur un champ de bataille. Il lui semblait qu'elle avait rêvé cet instant.
La joie emplit son être lorsqu'elle trouva la salle où Sloan avait classe. Il était actif en cours, mais par moments on voyait qu'il avait l'esprit ailleurs. Claudia était près de lui et quand c'était le cas, elle lui donnait un coup de coude pour le ramener à la réalité. Alors il lui souriait et redevenait un gamin concentré. 
La récréation intervint alors que cela ne faisait aux yeux de Shalimar que quelques instants qu'elle arrivée. En réalité cela faisait des heures. Elle avait observé comme il butait sur les mathématiques, alors qu'il était doué en français. Elle avait eu envie de lui souffler les réponses.
A la récréation les gamins jouèrent à la balle aux prisonniers. Sloan s'en sortait bien jusqu'à ce que l'inattention eut gagné du terrain. Alors un garçon de son équipe s'emporta contre lui parce-qu'il la faisait perdre. L'immortelle se retint à grand peine d'intervenir. Lorsque la sonnerie retentit, les enfants se dispersèrent. Alors Shalimar s'inquiéta de ses propres réactions, prenant conscience des risques qu'elle pourrait se laisser aller à prendre à cause du garçonnet. 
Puis les cours reprirent sur l'histoire de France. Il se déconcentra la dernière demi-heure. Mais lorsqu'il arriva à l'orphelinat, il prit la peine de tout relire. Ainsi c'était comme s'il avait tout suivi, se satisfit-elle. Ensuite il discuta avec ses camarades, de plus en plus nerveux. Ils jouèrent aux cartes jusqu'au couvre-feu, tandis que Shalimar s'émerveillait de sa complicité avec les quatre gamins, mais aussi de son agilité au bluff.
Lorsque le pion entré ordonner aux enfants de se mettre au lit ressortit de leur chambre, elle-même rentra chez Sofiane, la peur au ventre. La petite chauve-souris qu'elle était s'appuya sur l'interphone comme elle avait vu les autres vampires le faire. Mais cette fois-ci, elle arrivait seule. Elle ne pouvait pas pousser la porte. Aussi attendit-elle patiemment qu'il vienne lui ouvrir. Mais à la place il ouvrit de nouveau depuis son appartement. Hum. Elle étudia les alentours. Personne. Elle redevint femme, puis elle se changea en louve. Elle ne tenait pas à rester nue dans le couleur, même pas pour une poignée de secondes. Elle n'était pas capable de demeurer sous une forme aussi vulnérable. Lorsqu'il se présenta enfin, elle aurait été prête à pousser la porte, sous cette forme canine. Il soupira bruyamment en la précédant dans l'ascenseur. Comme ils entraient chez lui, elle gagna la salle d'eau pour s'habiller, puis ressortit sous forme humaine.
- Salut, tu as de quoi écrire ? Le questionna-t-elle pour paraître plus sûre d'elle qu'elle ne l'était en réalité. 
Mais il lui fit signe de le rejoindre au bar. Elle gardait un fort mauvais souvenir de la dernière fois qu'elle avait obtempéré à pareille requête, aussi ses jambes ne coopérèrent-elles que difficilement pour ce faire. Sofiane le remarqua, raison pour laquelle il avoua en lui tendant son verre de punch :
- J'ai du mal à te cerner, Shalimar. Tantôt tu viens au casse pipe, tantôt à toi toute seule tu mets trois chasseurs sur le carreau, tantôt tu pleures, tu gémis ou tu hésites à t'approcher de moi.
Elle ne se laissa pas le temps de réfléchir. Elle visualisa sa peur, l'attrapa à deux mains et la cacha dans un coin sombre de son esprit, où reposaient les plus sombres des fantômes de son passé. Ceux qu'elle n'aurait pas supporté de croiser dans le noir. Elle répondit en ces termes :
- Diagnostic : je suis une femme ainsi qu'un vampire. Passe-moi du papier, s'il-te-plaît, Sofiane.
Il ne fut pas dupe, conscient qu'elle construisait cette assurance de toutes pièces.

Le destin des immortels - nouvelle publication - 15.