Le destin des immortels - nouvelle publication

• - Tu te sens comment ? La questionna-t-il en conduisant, brisant le silence.

Shalimar se sentit attaquée. Il avait eu raison, s'avoua-t-elle alors qu'il arrêtait la voiture. Ils se déshabillèrent à côté du véhicule en ce jour de pluie, à l'abri des regards. L'immortel la verrouilla puis dissimula les clefs non loin, concentré sur l'environnement alentour.

• - Je me sens mieux, confirma-t-elle d'une voix très assurée.

Cela ne traduisait nullement son réel état d'esprit. Mais c'était la vérité. Elle avait des buts réalisables. Sa vie n'était plus un cul de sac, une simple lutte pour la survie. Pourtant elle se sentait asservie, ce qui occultait la majeure partie de son plaisir. Elle inspira une grande goulée d'air, ce qui était purement inutile, mais avait le mérite d'être agréable. Au moins elle pouvait voir Sloan.

En quelques minutes les deux chauves-souris qu'ils étaient devenus se retrouvèrent suspendues près de la salle de classe. Très concentré, Sloan participait à longueur de temps. Du coup il s'améliorait en Mathématiques et il était incollable en Français. Les autres matières devaient avoir lieu le matin. Bien sûr par moments il avait des passages à vide. Elle lui manquait toujours et il l'aimait vraiment, songea-t-elle le cœur lourd. Claudia quant à elle avait l'air un peu morose.

L'heure de repartir arriva, tel que l'indiquait l'horloge de la classe. Sofiane croisa son regard de ses petits yeux noirs de rongeur. Il s'envola, sûr qu'elle le suivrait. Elle le regarda faire amèrement. Il la testait. Les rongeurs ne pleuraient pas lorsqu'ils se sentaient tristes. Elle aurait préféré, cela lui aurait fait du bien. Abattue, elle s'envola à la suite de son chef de meute. Prenant de la vitesse, elle appela à elle la colère, à son habitude. C'était préférable aux autres sentiments qui l'habitaient.

Lorsqu'ils furent rentrés, elle s'absorba dans son travail pour essayer d'oublier l'humiliation d'être captive. Elle termina juste à temps, ce qui lui donna un coup d'adrénaline, qui la surprit beaucoup. Elle avait déjà travaillé, il y avait de cela des dizaines d'années. C'étaient des emplois bien plus honorifiques. Elle avait été soldat pendant la première guerre mondiale. Cela lui avait plu. Elle eut un long frisson de plaisir au souvenir du sang qu'elle avait tant aimé verser. Elle fronça les sourcils, se remémorant comment l'aventure s'était terminée. L'un de ses supérieurs humain l'avait surprise à boire le sang de l'une de ses victimes. Elle riait de plaisir à ce moment-là. Son sourire n'avait pas fait long feu lorsqu'elle avait évalué la situation et conclu qu'elle ne pouvait pas le tuer, pas à cet instant. Trop de risques d'être repérée. Rapidement, elle s'était retrouvée à la tête d'un travail titanesque pour faire taire la rumeur. Elle avait un nombre fou de morts sur la conscience, datant de cette période-là. Non seulement elle avait dû éliminer des dizaines d'humains par sécurité, mais elle avait dû tuer nombre d'immortels, afin que la rumeur ne remonte pas à son chef de meute de l'époque. Puis elle avait dû fuir le pays, honteuse d'y être forcée. Son honneur était à l'époque un bien précieux aux yeux de Shalimar, elle avait son prestige parmi les siens. Devoir fuir comme une simple voleuse l'avait dégoûtée de la vie en société.

Elle n'aurait donc pas cru prendre plaisir à simplement répondre au courrier des lecteurs d'un magazine féminin. Elle comprit qu'elle avait changé. Elle secoua la tête. Elle n'aimait pas cela.

Elle se leva d'un geste brusque, se hâta bien plus que nécessaire, pour quitter l'appartement afin d'aller au code. Sofiane se matérialisa devant la porte au moment où elle saisissait la poignée. Elle se confectionna un masque assuré.

• - Pardon, s'excusa-t-elle. Je ne suis pas habituée à avertir que je sors.

Sans la quitter des yeux, il attrapa ses clefs dans le vide-poche. Elle comprit qu'il l'accompagnait. En entrant dans la voiture, elle regarda le vampire s'y glisser avec élégance. Il démarra, passa la première. Elle se concentra sur la route, pour cesser de regarder son corps bouger, ce dont il n'avait pas à s'apercevoir. Cela aussi était nouveau pour elle. Elle avait depuis si longtemps quitté leur communauté qu'elle appréciait malgré elle la beauté de ceux de son espèce. Or Sofiane, plus que la plupart d'entre eux, parce que plus puissant, était particulièrement agréable à observer.

• - Tu dois t'ouvrir à ce que je te procure, lui ordonna-t-il.

Elle écarquilla légèrement les yeux. Il avait quelque chose à lui dire, voilà pourquoi il l'amenait, comprit-elle. Elle se força à croiser son regard, par simple politesse. Les yeux acier de Sofiane se révélèrent pénétrants. Elle retint un frisson. Comment avait-elle pu croire qu'elle pourrait supporter de se trouver directement sous la surveillance de son chef de meute ? Il n'y avait pas de place plus effrayante.

• - Sinon tu continueras de subir les inconvénients sans récolter les avantages de ta position. Or je n'aime pas perdre mon temps, conclut-il.

Il avait donc vu sa détresse, nota-t-elle. La même confusion que celle qu'elle avait ressentie cette nuit-là l'assaillit. Elle faisait ce qu'elle pouvait. Les menaces n'aidaient pas. Ils n'échangèrent pas une parole jusqu'à ce qu'il se gare devant l'auto-école. Elle savait pourtant qu'elle ne pouvait pas simplement descendre du véhicule sans rien lui répondre. Mais rien de ce qu'elle aurait dû dire ne lui paraissait acceptable. Elle renversa la tête sur l'appui-tête et ferma les yeux. Cela lui répugnait, mais elle allait lâcher prise. Il le fallait.

• - S'il te plaît, Sofiane. Je t'en prie...

Elle ne savait qu'ajouter. Elle voulait lui demander de la patience, mais il avait justement dit qu'il n'en aurait pas. Elle ne voulait pas le courroucer en lui donnant l'impression qu'elle ne l'avait pas écouté.

• - Sors de la voiture, ordonna-t-il finalement.

Elle rouvrit brusquement les yeux et se hâta d'obéir. C'était ce genre d'ordre-là.  

Le destin des immortels - nouvelle publication - 27.