Il savait qu'il comprenait sa langue parce qu'ils étaient liés par quelque chose de naturel. A l'instant, elle venait de lui parler d'amour, il avait compris les mots qu'elle avait prononcés. Mais cette fois, ils ne prenaient pas sens. L'amour était un sentiment, il savait cela, il savait duquel il s'agissait. Mais lui ne pouvait pas ressentir ce genre de choses, ni en connaître la nature pleinement. Cela restait pour lui un concept très abstrait, de son côté du brouillard. Il lui sembla que s'il voulait discuter avec elle de ce sujet, il lui manquait des informations qui se trouvaient de l'autre côté des nuages dans son esprit. Il ne devait pas faire cela, il savait que cela aurait des incidences qu'il n'apprécierait pas. Il sourit à Hiléria, heureux comme toujours de provoquer en elle la quiétude qu'elle peinait à conserver. Il lui donna la main pour dormir, comme elle le lui avait demandé dès la toute première nuit. Aussitôt, il se sentit partir vers le sommeil chargé de rêves d'une innocence laiteuse.
Clio aspira l'air avec avidité. Il était salé, de même que l'eau que les rafales précipitaient sur son corps secoué par la houle.
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- Mallaurie ! Hurla-t-elle, car depuis qu'Uriel était parti, c'était lui, l'homme dans la nuit, celui qui serait là pour la sauver des monstres.
Rassurée, elle venait déjà de constater qu'il était là aussi. Grognant, glissant, il tâchait de la rejoindre depuis l'autre côté du navire qui voguait dans le noir et la tempête. Elle se sentait gelée, dans son jean étroit détrempé et ses bottines à talons dont le daim ne résisterait pas longtemps aux intempéries qui les cernaient. Mais par-dessus tout, elle se sentait au bord de la folie à l'idée que le rouquin chavire en tentant de la rejoindre sous la pluie battante. Pourtant la peur lui nouait la gorge, aussi fut-elle impuissante à lui implorer de s'immobiliser.
Mallaurie rampa jusqu'à Clio en s'accrochant aux poignées solidement arrimées au pont du navire, visiblement fait pour les eaux déchaînées. Il n'avait pas encore réfléchi à ce qu'ils faisaient là, ou à ce qu'il ressentait, il voulait juste empêcher le pire. Or le pire aurait été de laisser la jeune femme seule dans le noir. Il la serra contre lui pour l'abriter des intempéries. Comme elle tremblait... Il lui caressa le dos, tandis que mille questions se bousculèrent à son esprit, à présent qu'il l'avant enfin rejointe pour la protéger. Pourquoi, comment, quoi faire ? Il força sa vision, pour détailler le bateau aux bois riches, immense, désert. Il nota qu'au bas des marches, là-bas, visiblement l'on pouvait entrer à l'intérieur. Il dut naturellement répéter en criant, pour couvrir le bruit des intempéries hurlantes.
Mallaurie soupira, il se sentait mieux. Ils étaient entrés, ils avaient refermé derrière eux les lourdes portes de bois. L'intérieur du navire se révélait luxueux, confortable mais désert. Lorsqu'ils avaient trouvé des cabines, sans se poser de questions ils avaient quitté leurs vêtements trempés pour s'enrouler dans les épaisses serviettes qui constituaient les seuls vêtements présents dans les petites penderies. Ils débusquèrent aussi quelques produits de toilette, emballés comme si le bateau avait pris la mer sans l'équipage prévu au départ.
Il prit la main de Clio puis ils repartirent en silence explorer les lieux, parce que c'est ce que l'on fait naturellement lorsque l'on se retrouve à un endroit où l'on ne devrait pas se trouver. Ils traversèrent en silence les différentes salles du navire, salle de billard, salle de restaurant, salon, bibliothèque, salle des machines.
Lorsque le jeune homme entra dans cette ultime salle, il sut que la petite brune allait défaillir. Elle se mit en effet à hurler, reculant frénétiquement contre le mur de bois massif, se couvrant la bouche de ses deux mains tremblantes. Le tableau de bord fonctionnait tout seul, la barre et tout le reste. Le rouquin aux yeux bleus se saisit d'elle, poussa la porte, les fit déboucher sur le couloir puis la serra jusqu'à épuisement.
Son propre cœur battait la chamade, parce que Dieu seul savait quelles créatures invisibles détenaient ainsi leur existence entre leurs mains. Il tâcha de se cramponner à l'idée qu'au moins, quelque-chose ici savait naviguer. Parce que ce n'était pas son cas. Il forma une prière silencieuse pour que cela prévoit de les garder en vie.